L’après-Printemps arabe vu par Tariq Ramadan

L’après-Printemps arabe vu par Tariq Ramadan
(Le Temps.ch 17/11/2011)



L’islamologue suisse plaide pour le maintien de la référence islamique au centre d’un avenir qu’il souhaite démocratique.

Quelle place pour l’islam après les Printemps arabes? A la question que tout le monde se pose, Tariq Ramadan donne une réponse à sa manière, à la fois consensuelle et ambiguë. Le nouveau livre que l’islamologue suisse est venu discuter mercredi au Club suisse de la presse* combine l’analyse géostratégique des soulèvements du début de cette année aux pronostics et aux conseils sur leurs débouchés.

Laïcité esquivée

La première dénote une certaine méfiance envers le mouvement des jeunes, dont Tariq Ramadan tient à rappeler que certains ont été formés à la résistance non violente aux Etats-Unis. Elle dessine aussi derrière les sorts divers de ces mouvements les préoccupations divergentes des puissances occidentales: intervention en Libye, dont le pétrole attire et dont la politique africaine inquiète; retenue en Syrie, verrou bien utile entre l’Iran et Israël; lâchage d’Hosni Moubarak et de Zine el-Abidine Ben Ali; soutien au pouvoir en place à Bahreïn.

Cela posé, Tariq Ramadan ne nie pas le caractère spontané des soulèvements. Mais il amorce un argument qu’il développe en détail dans la seconde partie de l’ouvrage: les aspirations des blogueurs ne sont pas celles de la majorité de la population. Pire, elles portent la marque suspecte de l’influence occidentale. Il faut donc chercher un autre chemin vers la démocratie à partir de la référence islamique.

Comment? Avant tout en évitant de poser frontalement la question de la laïcité. Elle provoque en effet une polarisation qui permet aux deux camps en présence de refuser toute remise en question et toute évolution.

Au premier, le camp laïc, il reproche certaines accointances avec les régimes défunts, une méconnaissance des réalités populaires et de la tradition musulmane. Il est clair qu’il n’a pas sa sympathie.

Il ne ménage pas non plus, toutefois, ses critiques au camp islamiste. Ce dernier n’apporte guère de solutions aux vrais problèmes – économiques et culturels notamment – des pays arabes et peine à proposer un apport original de l’islam en politique autrement que par la référence, ambiguë car elle peut recouvrir des contenus très différents, à la charia.

Toutefois, estime-t-il, les mouvements qui se réclament de l’islam politique ont évolué. La plupart ont abandonné la référence à un Etat islamique pour accepter le principe d’un Etat civil au sein duquel ils se soumettraient aux règles démocratiques sur un modèle que la Turquie de Recep Tayyip Erdogan a popularisé. En outre, les Printemps arabes les ont ébranlés. Ils sont désormais divisés, notamment mais pas seulement, sur une ligne de fracture générationnelle.

Renouer avec la culture

Sur cette base, il est possible pour Tariq Ramadan de s’attaquer ensemble aux questions de fond: économie, éducation, droits des femmes. Sur les deux derniers thèmes au moins, ne risque-t-on pas de voir ressurgir les polarisations qu’il veut justement éviter entre conceptions séculière et islamiste? L’exemple turc, estime-t-il, montre que ce danger peut être écarté.


Une chose est sûre, le chantier est vaste. Dans le domaine économique, où la capacité d’assurer plus de sécurité à tous déterminera l’avenir politique. En matière d’éducation, où des réformes sont urgentes. Et enfin sur le plan culturel.

Dans ce dernier domaine, Tariq Ramadan renvoie à nouveau dos à dos l’apport occidental – avec la culture internet, susceptible selon lui de dépouiller les jeunes Arabes de leur identité – et le camp religieux. Le discours islamique contemporain, trop formaliste, a selon lui perdu de vue la question du sens. Il promeut une culture de l’interdit et de la culpabilisation qui laisse les croyants sans réponse sur les questions éthiques plus fondamentales. Il appelle donc les pays arabes à renouer avec leur histoire et leur culture, sans préciser toutefois comment cette démarche doit aboutir à une réalisation des conditions qu’il pose à un futur démocratique: liberté de conscience, droits égaux pour tous, respect des droits humains, pluralisme politique et religieux.

* «L’islam et le réveil arabe», Tariq Ramadan, Presses du Châtelet, 302 p.



Sylvie Arsever